Si on allait au Brésil?

2 Août: Nous quittons San Ignacio sous la pluie, et la piste est défoncée. Ne jamais faire confiance aux Boliviens qui vous disent, oui, elle est bien meilleure que celle de Concepcion à San Ignacio car beaucoup de camions vont et viennent du Brésil. Ce n’est pas vrai, elle est presque entièrement faite de tôle ondulée et de sable, et de trous, et de bosses... sur 310 km!

Je ne vous parle même pas des nombreux contrôles militaires qui nous saoulent un maximum surtout que nous avons affaire à une catégorie d’humains complètement dénués d'intelligence vraiment pas équipés pour le dialogue. A croire que dans l’armée, ils choisissent les plus crétins possibles. Faut même leur dire d’arrêter d’agiter leurs fusils mitrailleurs dans tous les sens sous notre nez parce que à le faire tournicoter le doigt sur la gâchette alors qu’ils essayent de nous soutirer un peu de fric en nous demandant des papiers imaginaires, c’est un petit peu dangereux! Ceci dit, le peu d échange reste quand même courtois et nous finissons toujours par passer tranquillement.

Nous nous arrêtons au village de Las Petas, cela fait 8 h qu’on roule, et nous avons fait un tout petit peu plus de la moitié du chemin.

Heureusement l’accueil est très jovial, la dame du petit bar-épicerie nous propose de dormir dans sa cour pour plus de sécurité. Faut dire que tout le monde nous a fait un peu traquer avant de partir, que la route était dangereuse, qu’il y avait tout plein de gens très méchants et qu’il ne fallait surtout surtout pas dormir dans la nature. Bon, on nous le dit souvent ça, un peu partout, mais on pense qu’il y a beaucoup plus de paranoïa que de réel danger. Mais comme nous sommes près d’une frontière, l’endroit est sûrement plus sensible, alors nous acceptons bien volontiers l’offre. En échange, nous buvons tout plein de bières dans son bar sous la tonnelle de feuilles de palmiers!

C’est l’occasion de faire des rencontres de Brésiliens éleveurs en Bolivie avec qui nous discutons toute la soirée. Les susdits militaires sont là aussi et ne donnent pas leur part aux chiens concernant la bibine.

3 Août: Le contraste entre le réseau routier Bolivien et Brésilien est saisissant. A la frontière même, nous trouvons l’asphalte. Avec grand soulagement.

Les formalités douanières ne se font pas à la frontière physique, il faut aller à la ville de Cacéres, à 90 km de là. Nous sommes dans le Mato Grosso, une région marécageuse dont la superficie paraît égale à celle de la France. Nous sommes en saison sèche, une saison où beaucoup d’arbres sont dégarnis, la végétation est moins fournie qu’en saison des pluies, ce qui facilite l’observation de tous les animaux qui vivent dans le Pantanal. Un nouveau rêve va se réaliser.

Nous arrivons à la douane trop tard, elle ferme entre midi et deux, alors nous partons à la recherche d’un coin tranquille pour dormir. Nous nous dirigeons en direction de la marina et tombons devant les bureaux de l’office du tourisme et de l’environnement.

Nous rencontrons Sandro, le secrétaire à l’environnement, au tourisme et à la culture. Et quelle chance nous avons! Il est notre premier contact Brésilien, et quel accueil!

Il nous propose de dormir sous le magnifique Chimbuva, un arbre d’Amazonie géant et magnifique, avec la sécurité qui va avec, les bureaux sont gardés jour et nuit.

Nous sommes au bord du rio Paraguay, à la lisière d’un marais, et Sandro met à notre disposition douches et toilettes. D’autre part, il tient à ce qu’un gars de son équipe nous emmène à la police fédérale pour faire les formalités car c’est un peu compliqué à trouver. Nous lui expliquons que nous avons les coordonnées GPS mais il y tient absolument. Et c’est très aimable.

Il souhaite que nous restions un peu pour connaitre sa ville qu’il adore et dont l’histoire n’a pas de secret pour lui.

Son désir est que nous nous sentions bien ici, alors il nous invite à manger avec son équipe les poissons du rio demain midi et nous annonce les festivités à venir qu’on ne doit pas louper.

On est là sous les arbres. Un hélico a prit des photos de la ville samedi et Sandro nous les a donnés. Dommage, on ne nous voit pas !

4 Août: Nous sommes vraiment chouchoutés par Sandro et son équipe, nous sommes touchés par tant de gentillesse et de prévenance.

Nous nous joignons à eux pour le repas de midi comme prévu après avoir fait une virée au supermarché pour acheter du vin pour ne pas venir les mains vides. Et là on s’aperçoit que les prix des produits de première nécessité (donc le vin) sont démesurément élevés... Nous sommes surpris d’autant que nous venons directement de Bolivie. Aïe, va falloir se calmer sur des tas de trucs. Surtout sur l’essence qui est à 1,30 €.

Donc nous voilà à table entourés de personnes très souriantes aux yeux sincères et à l’embrassade facile dont malheureusement nous ne comprenons pas un traitre mot. Quel dommage! Nous n’avons jamais eu ce sentiment de frustration jusqu’à présent. L’Espagnol, dont nous ne parlions pas un mot en arrivant, s’est imposé facilement, nous l’avons apprivoisé rapidement sans nous sentir largués aux premiers contacts. Mais le Portugais Brésilien, c’est comme si on nous parlait chinois! Tout le monde nous parle, on se regarde entre nous comme des andouilles en caressant l’espoir que l’un d’entre nous comprenne ne serait-ce qu’un mot, mais non, rien de rien. On pensait s’en sortir avec l’Espagnol, mais la prononciation est telle qu’aucun mot ne s’y apparente à l’oral.

Menfin, Sandro parle très bien Espagnol et nous traduit, heureusement pour nous.

Nous mangeons du piavaçu, un très bon poisson qui vit dans le rio. Sandro nous parle de sa ville, du pantanal et de l’attachement qu’on les Pantaneiros pour leur terre. Il nous offre pour l’occasion une superbe boite en teck ornée d’un poisson sculpté, et des ingrédients afin de préparer une boisson énergétique que les travailleurs boivent avant d’aller dans les champs, le guarana. Du guarana en poudre, du sucre et de l’eau fraiche. Et hop, en forme pour la journée!

Il nous présente aussi son ami, Sebastiao Mendes, un artiste à la réputation internationale qui expose aussi en France, celui-ci nous invite à son tour dans sa propriété en fin de semaine. Nous acceptons bien sûr car la visite de l’atelier d’un peintre Brésilien dont l’inspiration se trouve dans le Pantanal nous intéresse beaucoup.

Cet après-midi la force aérienne Brésilienne fait une exhibition, la plage du fleuve se bonde, les enfants qui sont en force sont survoltés et à chaque passage des avions ils poussent des cris en coeur si forts qu’ils doivent atteindre les avions et faire sourire les pilotes! Nous sommes à fond dans l’ambiance qui se propage en nous, ça y est, la fièvre Brésilienne nous a frappés!

Nous perdons nos bonhommes Maud et moi, ils ont encore dû tomber dans une embuscade, on commence à connaitre la tactique, ils prétextent vouloir nous ramener à boire et disparaissent deux heures. Pas grave, on en profite pour faire les groupies auprès des pilotes qu’on félicite au passage. (en fait on parle la langue des signes, on lève le pouce comme tout le monde ici, et on dit «tudo bem!») Un sacré spectacle, juste à temps les Thillous! Mais ce n’est pas tout, ce soir il y a le festival kururu siriri, une démonstration devant jury de divers chants et danses typiquement pantaneira, Sandro nous invite à y participer afin de nous imprégner de la culture de la région qui est très ancrée chez chacun des habitants de Cacéres, dont les chants racontent des histoires d’oiseaux, de capibaras, de jacarés, (les alligators d’ici), et du fameux Tuiuiu, une cigogne de 1,40m de haut au long bec noir, endémique du Pantanal. Il faut prononcer Touyouyou, je vous aide un peu car avec toutes ces voyelles on ne s’en sort pas. C’est son nom vernaculaire, sinon il s’appelle Jaburu et est l’emblème du pantanal.

Nous voilà donc assistant aux préparatifs, ainsi qu’au festival lui-même dont les meilleurs sélectionnés participeront au grand festival de Cuiaba, la grande ville du Pantanal Nord.

Nous sommes invités à participer au repas offert aux concurrents, mais la fatigue de cette journée bien remplie nous tombe dessus, il est tard, il fait frisquet, on a trop mangé de popcorns aux petits lardons grillés et surtout, on a la tête comme une coucourde d’avoir fait tant d’efforts pour comprendre ce que les gens nous racontent tout au long de la journée. Alors on va se mettre sous la tente et rêver en Portugais.

5 Août: C’est l’anniversaire de mon Thillou et Sandro l’a appris, alors on est invité chez lui, son épouse Sueli et leur fils Diego ce soir pour partager un peu de nos vies.

En attendant, nous visitons Cacéres et découvrons une jolie petite ville de 85000 habitants, dont certains bâtiments entretenus sont les témoins de l’époque coloniale.

Et comme il fait très très chaud, on s’arrête souvent pour boire une bonne bière bien fraiche.

Nous sommes comblés et couverts de cadeaux, ils nous offrent une Garça branca, un oiseau du pantanal magnifique, et Diego nous fait un petit concert privé de guitare et harmonica. Il est si timide que sa maman ne l’a jamais entendu chanter, mais pour l’anniversaire de Thille, il surmonte sa timidité et nous étonne par son talent, sa technique et son répertoire alors qu’il ne joue de la guitare depuis qu’une seule année. On a du mal à y croire tellement c’est beau et parfait.

Encore une soirée riche en émotion qui nous émeut énormément, nous sommes tous frais débarqués sur ce territoire, étrangers et ne parlant pas un mot de Portugais, et nous voilà déjà dans les bras de cette famille à la lumière éblouissante. Merci pour cette belle soirée douce Sueli, brillant Diego et généreux Sandro.

6 Août: Comme prévu, Sebastiao Mendez vient nous chercher et nous emmène dans sa belle propriété au bord du fleuve. Il connait bien son Pantanal, il aime les arbres, les plantes et les animaux de son pays. Ils leur rend hommage dans ses toiles et en en parlant avec les gens qui y voyagent. Il partage ses connaissance de la nature avec nous et nous fait goûter aux divers fruits qu’il récolte dans les arbres d’Amazonie de son terrain.

Nous faisons la connaissance de Elizette sa compagne, de Déborah, une amie, qui sont là pour partager le repas gargantuesque que leur cuisinière à préparé. En attendant nous visitons la propriété, une belle maison sous la protection du Chimbuva, un arbre dont le fruit est saponifère, les Indiens l’utilisait comme savon, et son tronc, riche en résine et résistant à l’eau servait à faire les pirogues.

Voici le Cupuaçu, un gros fruit avec lequel Sebastiao nous fait du jus frais.

Nous ramassons des fruits de babaçu, des noix de coco de la taille d’une main qui ne se laissent pas ouvrir comme ça... Il faut une masse, un marteau, un couteau suisse et de la pugnacité pour en arriver à bout. Et si on est presque mort de faim après avoir passé tout ce temps à essayer de l’ouvrir, on ne risque pas de se remplir le ventre avec ses 5 malheureuses graines qu’on dégage du bois qui les entoure, certes très bonnes et riches en huile mais il faut de la patience pour se remplir le ventre!

Ce magnifique palmier au haut panache sert à tout: l’écorce des noix comme charbon végétal, les palmes pour confectionner des toits de maison, les feuilles pour la vannerie, le tronc pour les clôtures, les noix pour l’huile et du vin.

Avec une bonne scie on doit pouvoir manger à sa faim!

Nous découvrons également le fameux teck qui sert tant au mobilier de jardin chez nous. Les gens qui ont du terrain en plantent assez tôt pour s’assurer une retraite confortable. Lorsque l’arbre atteint une trentaine d’année, ils le coupent et le vendent environ 2500 euros. Un peu comme certains font en France avec les oliviers ou les peupliers.

Nous cueillons comme on peut des graines de Jatoba, (ou courbaril) riches en nutriments également et à l’odeur de levure...

Nous prenons un très bon repas sous la tonnelle arrosé de jus d’ananas et de cupuaçu fraichement pressés, puis nous allons visiter son atelier. Un atelier bien agréable qui donne envie de peindre.

Nous aimons beaucoup la poésie de sa peinture, ses textures douces, les couleurs, ses sujets d’inspiration: les bords de rivières, les animaux, la vie de tous les jours dans le Pantanal.

Merci Sebastiao pour cette journée de découverte!

Nous retournons sur la plage pour nous rafraîchir et on se dit qu’il fait bon vivre à Caceres, comme ils l’appellent ici, la princesse du Pantanal.