23 Juillet: La chaleur est enfin avec nous, et là, nous pensons que c’est pour de bon, enfin, nous espérons. Nous arrivons à San Javier, la plus ancienne mission de la région, fondée en 1691.
Les Jésuites ont instauré un Etat religieux autonome au Paraguay et ont ensuite étendu leurs missions dans l’Est de la Bolivie, le Nord de l’Argentine et au Brésil.
A l’époque, la région était peuplée d’Indiens Chiquitanos et Guaranis, où vivent encore leurs descendants. Les Jésuites ne voulaient en aucun cas que ces tribus indigènes perdent leur identité et leur fonctionnement était un vrai modèle de vie communautaire et de partage.
Ils leur inculquèrent la religion chrétienne et les encourageaient à préserver leur mode de vie tout en faisant d’eux de vrais artisans, leur apprenant les techniques de sculpture du bois et d’argent, ainsi que la fabrication d’instruments de musique, harpes, violons, violoncelles.
En échange de leur nouvelle prospérité commerciale grâce aux techniques d’élevage et agricole acquises par l’éducation Jésuite, ils apprenaient à leurs hôtes des astuces pour survivre dans ce milieu tropical difficile. Cette symbiose était probablement la seule existante lors de la colonisation. Les Chiquitanos sont également devenus des musiciens et danseurs hors pair rivalisant avec les meilleurs artistes Européens de la Renaissance.
Nous sommes subjugués par tant de douceur et de sobriété, de naïveté dans les fresques et d’émotion dégagée par cette église au charme incroyable. Elles n’ont pas toujours gardé leur splendeur de l’époque, elles ont été plus ou moins abandonnées après le départ forcé des Jésuites.
Lorsque les colons Espagnols comprirent que tant de richesses étaient formidablement exploitées dans ces contrées sauvages, et que leur influence était grandissante, ils accusèrent les religieux d’avoir usurpé le pouvoir de l’Etat.
C’est leur prospérité qui causa leur perte. Mais les suzerains Espagnols n’y trouvant pas vraiment leur compte abandonnèrent les communautés de la région. Les Indiens délaissés et privés des Jésuites qui s’efforçaient de rapprocher les deux cultures, s’en allèrent en partie.
Ces églises sont alors les seuls témoignages de cette époque à la fin brutale.
Il y a plus de 25 ans, un architecte, Hans Roth, entreprit de les restaurer et de leur rendre leur beauté d’antan s’appuyant sur des plans originaux, en accomplissant un travail de titan. Les résultats sont tels que l’UNESCO les a inscrites au patrimoine mondial de l’humanité en 1991.
On aime bien les références exotiques des sculpteurs qui représentent Saint François d’Assise en grande discussion avec un oiseau bigarré et un fourmilier de la jungle, au milieu d’une danse de poissons. Cela le change un peu des conversations avec les loups et les agneaux!
La porte d’entrée étant fermée, nous suivons des enfants qui passent par une porte de côté. Nous prenons des photos tranquillement, nous sommes seuls. Une demie-heure plus tard, une femme vient vers nous et nous dit qu’il faut payer l’entrée, qui se fait par le musée. Nous ne l’avions pas vu. Alors pas de problème, nous allons acheter nos billets, mais elle voit mon appareil photo et nous dit que c’est plus cher si on prend des clichés.
On trouve ça un peu bizarre et pas cool.
On n’est vraiment pas contre l’idée de payer l’entrée, qui sert certainement à entretenir l’église, mais ils devraient alors englober la prise de photos dans le tarif en le gonflant un peu. On n’en saurait rien, et ça passerait tout seul. Mais présenté comme ça, ça ne nous plait pas trop.
Tout le village possède ce même charme, les murs sont peints du même style que les façades de l’église, la place est magnifique, les arbres palos borrachos, appelés en Bolivie toboroches sont d’époque, ils ont au moins 300 ans.
Le village possède des thermes à une quinzaine de kilomètres, nous pensons pouvoir y dormir ce soir.
La piste nuancée de tous les ocres possibles est très belle, termitières impressionnantes, zébus à l’ombre des palmiers, végétation intéressante.
Mais se baigner dans une eau à 40° alors qu’il fait 35° dehors, ce n’est pas très tentant. Nous payons notre droit d’entrée et nous trempons 5 minutes histoire d’amortir nos deux euros. En fait, on préfère se baigner avec les canetons dans le ruisseau frais à côté de la maison des propriétaires.
Le proprio nous permet de dormir sur son terrain contre deux nouveaux euros et nous dit qu’on pourra se baigner à loisir demain si on le souhaite. Nous dormons sous les figuiers maudits qui étranglent lentement les palmiers.
24 Juillet: Nous repassons à San Javier et c’est l’heure de la messe. Cette fois-ci, l’entrée est gratuite et les chants sont accompagnés par un vrai orchestre à la guitare. C’est très beau à entendre.
Nous roulons 50 km et passons devant un endroit qui nous plait énormément, des monolithes de granite en équilibre entre palmiers et figuiers étrangleurs. Nous passons lentement devant, et nous voyons la pancarte «camping». L’occasion est trop bonne. Il y a une grande lagune, la dame responsable des lieux nous dit qu’on peut se baigner, utiliser la barque, qu’il y a douches et toilettes, et qu’on peut s’installer où on veut. Avec la chaleur qui fait, nous sommes toujours en quête d’endroits propices à la baignade. Et là, c’est le paradis.
Ce camping où nous sommes les seuls clients est vraiment le meilleur que nous ayons fait depuis le début de notre voyage. Et le moins cher! Nous pouvons nous baigner et ne sommes même pas enquiquinés par les moustiques, et ça, c’est inespéré!
C’est aussi l’occasion pour nous de pouvoir observer une multitude d’oiseaux qui gazouillent toute la journée, surtout à l’aube où c’est carrément la criée aux poissons! Nous voyons des petits toucans en colonie, qui sont si rapides que la seule photo que j’ai de l’un d‘entre eux n’est que le fruit du hasard!
C’est aussi le repaire des capibaras, de très gros rongeurs de la taille d’un cochon moyen. Ils discutent aussi pas mal la nuit, se répondant d’un côté à l’autre de la lagune. Ah la nature ne facilite pas toujours les sommeils réparateurs! Mais tout de même, c’est bien mieux que de dormir sur le périph!
Il y a même des buffles qui broutent et se baignent dans la lagune.
Dans l’après-midi, un couple Autrichien s’est arrêté là pour les mêmes raisons que nous. Ils arrivent de l’autre côté de la boucle que nous pensons faire et nous annoncent une piste bien fatigante... alors nous pensons revoir nos plans de route, et faire le Pantanal Brésilien directement après la mission de San Ignacio plutôt que de descendre les faire toutes pour remonter ensuite dans le Pantanal Nord.
Irène et Heinz, il le dit lui-même: comme le ketchup, sont très amicaux et nous donnent pleins de tuyaux pour la suite de notre route.
Ils voyagent depuis 6 ans autour du monde dans un toyota chargé d’une cellule prototype qui ne pèse que 300 kg! Le tout est si fonctionnel que nous en gardons en mémoire les plans!
25 Juillet: Irène et Heinz s’en vont, et nous sommes seuls à nouveau pour apprécier ce décor fabuleux, où les chiens nichent dans des fours, tout comme les oiseaux!
Et où les sauterelles sont quasi invisibles!
Alors là le Thillou est aux anges, il rame, il nage, il range et bricole le camion en slip, tout va très bien!
On peut aussi se promener dans toute l’immense propriété qui englobe une quebrada et d’autres lagunes, les clôtures n’étant là que pour empêcher les animaux d’aller sur la route.
Of course, nous restons là une journée de plus.
26 Juillet: Nous quittons les lieux avec presque des regrets, mais c’est en sachant que nous allons dénicher d’autres coins du genre dans la région. Nous allons à Concepcion, une autre mission Jésuite dans un petit village poussiéreux et très paisible. L’église est encore plus belle à mon goût que celle de San Javier. C’est ici que les ateliers de restauration de toutes les églises sont rassemblés.
Elle a été construite en 1708 et restaurée complètement tout aussi fidèlement que possible. L’entrée donne droit à la visite du musée ainsi qu’aux ateliers de restauration.
Le toit est soutenu par 121 colonnes de «cuchi», ou bois de fer, un bois si dense et lourd qu’ il fallait une quinzaine d’hommes pour les faire pivoter afin que les artistes les sculptent.
Les peintres ont utilisés les pigments naturels de la terre où toutes les nuances d’ocres existent. Tous les bancs à l’intérieur sont sculptés avec talent de scènettes tirées de la bible, et on peut passer presque la matinée à éplucher chaque détail tant ils sont merveilleusement réalisés.
Les restaurateurs, qui sont tous des indiens Chiquitanos, sont de vrais artistes.
Nous retrouvons Maud et Seb, ils viennent d’arriver, et je refais la visite de l’église avec Maud puis nous faisons ensuite une visite des ateliers de fabrication de répliques et de restauration des oeuvres d’art.
C’est l’occasion de voir à l’ouvrage ces sculpteurs si talentueux.
Après en avoir pris plein les mirettes, il nous faut trouver un bel endroit pour se rafraichir, et c’est à la lagune represa Zapaco près du village que nous trouvons de quoi faire un beau bivouac et une petite baignade.
La vie en voyage au grand air est redevenue belle, le blues de Salta est heureusement très loin. Pas difficile lorsqu’on voit de si belles choses.
27 Juillet: La piste est assez éprouvante, pas trop difficile, mais caillouteuse, bruyante, poussiéreuse, avec un peu de tôle ondulée. Il faut qu’on prenne notre temps, nous allons doucement, en faisant quelques arrêts pour ne pas chauffer trop le moteur qui se refroidit à l’air, et l’air aujourd’hui est à 39° à notre thermomètre.
Nous croisons un camping car d’une famille Française avec deux enfants. Nicolas et Hélène viennent du Pantanal Sud, alors nous discutons un brin sous la chaleur écrasante du soleil de la Bolivie Orientale. Une rencontre agréable un peu trop rapide mais nous allons dans des sens opposés.
Il y a quelques communautés sur la route, nous en profitons pour nous ravitailler en boissons fraiches, et casser une petite croûte à l’ombre des palmes. Au menu picada de carne: dans une même assiette: igname, pâtes, riz, frites et un peu de viande. 4 féculents à la fois!!! Heureusement il y a de la chicha pour faire passer!
La piste est de plus en plus fatigante, 174 km dans la journée à 35 km/h en moyenne. Heureusement les paysages sont superbes, cette route de terre rouge bordée de palmiers et de prairies où paissent les magnifiques zébus blancs, les petites lagunes envahies de nénuphars, les papillons portes-queue bleus et noirs virevoltant, les petites maisons des indiens Chiquitanos faites de terre et de palmes, devant lesquelles trônent de géants manguiers, le tout sur un fond de ciel bleu saphir nous frappe en plein coeur. C’est vraiment une région qui gagne à être connue.
Nous arrivons à San Ignacio de Velasco plus qu’éreintés, complètement vannés, alors nous cherchons un endroit tranquille où nous pourrons rester quelques jours sans avoir à penser tout le temps à la sécurité de nos véhicules lorsqu’on se promène, surtout que le week end arrive.
Nous trouvons notre bonheur à la casa Suiza, une petite maison d’hôte tenue par une gentille dame Suisse, Christina, qui laisse son amie Selva tenir l’endroit.
C’est donc dans son jardin que nous trouvons refuge, et lorsque nous apprenons qu’il y a pendant ces quatre prochains jours des festivités dans le village, nous savons déjà que nous allons aimer y rester.