Sur l’île de Chiloe

11 Novembre: Ce matin le ciel est couvert, et effectivement, nos deux volcans sont invisibles. Nous nous dirigeons sur Puerto Montt, la capitale de la région des Lacs mais nous ne nous y attardons pas, c’est une ville sans grand charme et nous allons directement à Pargua, le petit village d’où nous embarquons sur un bac-ferry pendant une demie-heure pour atteindre Chiloe, cette île un tantinet plus petite que la Corse, un éclat de Chili au milieu d’un archipel constitué de centaines de petits îlots qui se perdent dans les brumes du Pacifique jusqu’à la pointe la plus australe de ce pays longiligne.

Isla grande de Chiloe est une petite partie de Chili à la personnalité à part, empreinte de mythologie où les gnomes répugnants attirent les jeunes vierges, où les messagères de sorciers vomissent leurs entrailles afin être plus légères pour voler, où les bateaux pirates fantômes sont incandescents et peuvent naviguer face au vent et sous l’eau... il y a des tas d’histoires qui racontent comment l’archipel s’est formé, des croyances à des figures donnant dans la magie noire ou dans la magie blanche, qui annoncent de bonnes pêches ou des tempêtes.

A peine arrivés à Chacao, la première petite ville à l’Ouest de l’île, nous sommes sous le charme. Les maisons sont colorées et habillées d’écailles de bois d’Alerce, la plupart sur de petits pilotis comme pour se tenir sur la pointe des pieds lorsque la pluie se fait trop sévère.

Concernant le climat, le temps que nous avons aujourd’hui est typiquement Chilote, un plafond bas, mais nous évitons la pluie qui paraît il est omniprésente ici, elle fait partie du charme de l’île, c’est grâce à elle que la végétation aux verts si profonds et aux fleurs si belles et variées se développe si bien.

Nous allons à Ancud, ville qui a été en grande partie détruite par un tremblement de terre en Mai 1960, un soir, un vieux pêcheur barbu coiffé de son bonnet et à qui il ne manquait que la pipe pour ressembler à captain Igloo, un peu éméché, nous raconte qu’il y a survécu, mais pas sa famille. Le tsunami a été plus violent encore nous dit il, et a englouti toutes les rues perpendiculaires au port. Il reste quand même quelques habitations traditionnelles assez jolies datant de l’époque, et le marché municipal nous entraîne à la découverte des habitudes culinaires des habitants Chilotes.

Ici les produits issus de la mer, évidemment, sont à l’honneur: congres, merlus, coquillages et crabes. Les fruits et légumes sont très beaux, cela nous change de l’Argentine où nous tournions un peu en rond avec toujours les mêmes légumes fanés sans grande diversité.

Les Chilotes sont très aimables et nous leurs posons toujours quelques questions concernant leurs produits, dont certains sont très curieux pour nous.

Certaines plantes aquatiques se vendent séchées et se ré-hydratent dans les bouillons et soupes traditionnelles.

On tente le fromage local, mais finalement, nous en revenons toujours à la même conclusion, nous sommes trop bien habitués en France aux goûts divers et prononcés de nos fromages. Seul le beurre de la ferme nous satisfait pour sa forte saveur de campagne.

Nous achetons des moules géantes aussi pour le repas de ce soir, aussi grandes qu’une main, bonnes à déguster crues comme cuites, ajoutées à un kilo de merlu pour un bon rizotto.

Nous restons près du port pour attendre les Marcadier qui cherchent de l’internet, et assistons au chargement d’un pick up de nombreuses caisses pleines de crabes. Cela nous fait penser qu’il faut qu’on en achète demain!

12 Novembre: Nous emmenons avec nous la Tribu pour qu’ils fassent le marché avec nous, nous achetons des pinces de crabe décortiquées pour 3 sous et on s’en met plein le gosier avant d’aller se manger un petit plat d’ici dans une cantine de la ville.

Empanadas géants aux fruits de mer, soupes de coquillages, et céviches sont à la carte. Nous apprécions à nouveau l’ambiance populaire des marchés où on peut manger de bonnes spécialités pour peu cher, cela manquait dans les provinces d’Argentine que nous avons récemment visité.

Nathalie et Fred sont contents eux aussi d’être soulagés de corvée de cuisine et de vaisselle le midi pour nourrir leurs louveteaux insatiables!

Nous partons chercher un endroit sympa pour la nuit, et trouvons par hasard une île reliée par un long pont de bois un peu chabraque, lîlot Aucar, l’île des âmes de marins.

Pour calmer tout le monde, Thille et moi emmenons les enfants avec nous visiter l’île. Il y a un sentier botanique au bout duquel se trouve une petite église un peu mal en point et un tout petit cimetière.

Nathalie se rend sur le pont seule, et, le nez en l’air, attirée par les cygnes à cou noir, elle ne voit pas l’unique planche de bois manquante du pont et tombe complètement à travers, se rattrapant à la Tarzan, accrochée à une planche et les jambes dans le vide, à 5 mètres de haut. Dans l’action, le bel appareil photo reflex numérique tombe dans l’eau et se casse sur une pierre. Nath descend le plus vite possible en s’accrochant elle ne sait où ni comment, mais c’est trop tard, l’appareil est foutu, mais Nath n’a rien de bien grave, juste le tibia bien éraflé et le corps endolori. A voir la chute qu’elle a faite, tout le monde est bien content qu’elle ne se soit rien cassé, un vrai miracle.

Déprime au menu, bousiller son appareil au commencement d’un périple est une vraie déception pour Nathalie qui adore faire de la photo et les partager via leur site, www.tribu-marcadier.com et on la comprend, ça m’aurait minée moi aussi.

13 Novembre: Nous allons visiter la capitale, Castro, une ville connue pour ses palafitos, des maisons traditionnelles montées sur pilotis, ainsi que pour sa cathédrale d’architecture typiquement Chilote. Les églises Jésuites datant du XVIII et XIX ème siècle sont faite de bois d’Alerce, le cyprès de Patagonie, 16 d’entre elles sont inscrites au patrimoine mondial de l’Humanité. Elles sont belles de simplicité et dégagent beaucoup de chaleur, une fois à l’intérieur, elles craquent comme un vieux navire et on sent presque bercé par la mer.

Nous allons ensuite nous restaurer et mangeons au petit marché de coquillages qui ne sert que des ceviches, de saumon, d’amandes, de corail d’oursins, de moules. On y mange debout, on assaisonne à notre goût, on blague avec les poissonniers qui sont très aimables et qui ont beaucoup d’humour. Il règne ici une ambiance décontractée sans chichi et on adore.

Vous voyez ces oursins bien remplis? On en connaît qui vont en rêver! Un peu moins goûteux et doux que les notres de Méditerranée, mais véritablement bons, sans parler de ces amandes qui laissent une note de noisette et iodées comme les huîtres, tout ça cru au jus de citron est un vrai plaisir, mais sans coriandre s’il vous plaît!!! C’est dur de les convaincre de ne pas en mettre dans notre bol, eux, ils ne mangent pas sans ça, et nous, on déteste.

Comme nous disent les gens d’ici, nous avons une chance incroyable d’avoir ce beau temps, et en profitons pour dormir au bord de la mer en face de la ville.

En oubliant que c’est Samedi soir, et nous serons réveillés par 4 gars en bagnole à 5h30 du mat avec musique à fond et bières-vodka pour se désaltérer! Fred essaye de les convaincre de faire moins de bruit, mais bon, à part pisser sur nos roues, ils ne nous ont rien fait de mal.

14 Novembre: Nous avions vu une affiche à Castro parlant d’une fête du mouton à Achao, un petit village sur une île voisine, non loin de Castro, et comme le temps est encore au plus beau de sa forme, nous y allons, et passons à nouveau sur un bac pour traverser le petit bras de mer séparant les deux éclats. Le bac se prend à Dalcahue, petite ville où se trouve une féria artisanale et une belle église qui mérite la photo.

Si on compte bien, c’est la sixième fois depuis notre voyage que notre Bestiole vogue sur les flots, sur mer, lac, ou pour traverser une rivière!

10 mn suffisent pour traverser, le temps nous permet d’apprécier la beauté des paysages fleuris sur fond de mer bleue. Nous arrivons à la paisible et silencieuse bourgade d’Achao. Rien ne laisse présager une fête, on se demande si on ne s’est pas gourés, mais, les narines grandes ouvertes, nous sentons une odeur bien familière depuis l’Argentine, celle de l’asado! Nous suivons les effluves et arrivons sur le terrain qui accueille les festivités du village.

Les corderos commencent à cuire, nous avons le temps de visiter la petite église du village à l’intérieur magnifiquement sobre et lumineuse.

La messe n’est pas terminée, mais nous restons car les adeptes chantent de jolis cantiques en tapant sur des cymbales.

Nous retournons à la fête qui commence tout doucement, les gens arrivent progressivement, les stands d’artisanat s’ouvrent, nos appétits aussi.

On attaque par une bonne bouteille de vin Chilien bien sûr en sachant que nous allons faire d’autres découvertes gustatives.

Et c’est le cas, des genres de beignets nous attirent, les milcaos, une vraie spécialité d’ici. La consistance est particulière, on dirait de l’igname, mais l’igname ne pousse pas ici, alors nous demandons aux cuisinières qui nous expliquent que la pâte est faite de patates cuites mélangée à de la  patate crue, c’est donc cela que faisait cet homme à broyer des patates crues. On pensait que c’était là une drôle de manière de préparer la purée, façon verlan!

Les milcaos sont fourrés de chicharon, viande de porc frite et hachée, puis sont à leur tour frits. Autant dire que l’huile coule sur les doigts mais il ne faut pas y penser car c’est bon et original, et comme me dit toujours mon amie Karen: mauvaise conscience fait mauvaise graisse! Alors Thille en prend deux!

Au programme de la journée, présentation des races de moutons natives de Chiloe, concours de tonte à la tondeuse, puis aux ciseaux, musique et chants Chilotes dont les sujets principaux sont les marins et les plats traditionnels comme le curanto, que nous goûterons à Ancud à notre retour.

Ambiance fête campagnarde, tout le monde est heureux car il fait beau et tout le monde mange bien, tout ce qui est important dans notre vie d’humain!

Ceux-ci ne passent pas au grill, ils sont là en représentants de leur race. Heureusement, cela aurait carrément gâché la fête de les voir se faire zigouiller sur place.

Nous ne prenons qu’une assiette par couple tellement les milcaos nous ont calés et tellement les rations sont copieuses. Un vrai délice croustillant et tendre à la fois, vous vous en doutez.

Nous allons au camping d’Achao pour nous éviter de chercher un endroit libre et surtout pour profiter d’une bonne douche chaude.

C’est un très joli camping où se dressent les belles nalcas, ces grandes rhubarbes que nous voyons pousser sur les bords de route depuis notre entrée au Chili. Elles font aussi partie de la cuisine locale puisqu’elles se vendent au marché et se consomme comme la rhubarbe.

15 Novembre: Nous partons au bout de l’îlot Quemchi où se trouve Achao mais n’y trouvant rien de plus intéressant, nous revenons sur nos pas, puis nous nous arrêtons à Curao de Velez, dont la spécialité est l’élevage d’huîtres et nous aimerions bien en manger, malheureusement, tous les restos sont fermés car nous ne sommes pas encore en été. C’est cependant un joli quartier à voir. Ensuite nous allons visiter une ville plus au Sud que Castro, Chonchi, où se trouve également une jolie église colorée. Les distances étant courtes sur l’île, nous décidons de retourner sur Castro pour la nuit car nous voudrions aller au marché municipal demain matin.

16 Novembre: Le marché de Castro n’est pas du tout prévu pour les touristes, lorsque nous demandons notre chemin aux habitants, ils nous dirigent vers le marché artisanal...

Tous les stands ne sont pas ouverts mais l’ambiance y est, les dames sont bien sympathiques et nous leurs demandons comment préparer les moules séchées qu’elles pendent en grands colliers: tout simplement, dans la soupe, mais nous ne sommes pas tentés.

En revanche, nous sommes plus tentés par la célèbre centolla, une araignée de mer à l’envergure impressionnante, par contre, on est vite calmé lorsqu’on s’imagine la décortiquer dans le camion... évidemment, le plan de travail est un peu trop petit...

Alors on se rabat sur le saumon fumé, puisque c’est aussi une spécialité d’ici, il ne se trouve pas en tranche, mais en morceaux entier sans arêtes. Il provient certainement des élevages que nous avons vus aux alentours de l’île, ce fameux saumon Chilien sujet à la controverse. Nous retournons sur la place pour y faire de l’internet en wifi, et nous nous faisons accoster par un journaliste de canalsur Castro, la télé locale. Le Thille fait tout l’interview en Espagnol!!! Chapeau!

Ce soir est notre dernière soirée sur Chiloe, nous prévoyons de prendre le ferry demain car le temps commence à menacer, ça sera beaucoup moins drôle sans le soleil,  et pourtant, c’est ça la vrai Chiloe nous disent les gens d’ici! Mais bon, nous ne sommes pas aussi courageux que les Bretons!

Alors ce soir c’est soirée entre adultes, Nath et Fred préparent des hamburgers-frites et les pirates vont regarder ensemble un bon film pendant que nous 4 allons déguster enfin le fameux ragoût qui se célèbre dans les chansons populaires: le curanto!

Un mélange pas très fin mais très bon de palette fumée, de poulet, de saucisses, de milcao, de pomme de terre et de fruits de mer avec un bon bouillon d’accompagnement qui a servi à la cuisson de tous les ingrédients... résultat fumé et délicatement épicé, bien bourratif à souhait, et visuellement, enfin, quand on a faim, ça en jette!

17 Novembre: C’est sur cette note que nous quittons Chiloe, un endroit que nous avons aimé, pas seulement pour ses jolis paysages, mais surtout pour l’agréable sympathie des habitants, leur simplicité et leur humour au marché nous a touchés, aussi pour sa singulière mythologie et son folklore fort, et pour avoir su garder une architecture traditionnelle et homogène sur toute l’île. Ah, j’allais oublier, mais vous vous en doutez....ai-je besoin de le dire...nous avons aussi aimé ses spécialités culinaires! On ne se refait pas.